[Bonnes feuilles] Entrepreneurs : apprenez à déjouer les pièges de la négociation !

Négocier fait partie du quotidien de tout entrepreneur : avec des clients, des fournisseurs ou même des partenaires. Pourtant, derrière l’apparente simplicité d’une discussion, se cachent des pièges fréquents qui peuvent coûter cher en temps, en argent et en opportunités. Identifier ces erreurs et apprendre à les éviter, c’est se donner une longueur d’avance dans chaque négociation.

 

L’absence de préparation. Quoi de mieux que la célèbre phrase de Benjamin Franklin pour illustrer ce principe : « By failing to prepare, you are preparing to fail ». Pour être performant en négociation, il faut commencer par réduire les erreurs qui sont de votre fait. La première d’entre elles est indiscutablement l’absence de préparation.

 

L’insuffisance de renseignement

C’est une faute majeure que de se rendre à une négociation sans avoir effectué un travail préparatoire de recherche d’informations sur votre interlocuteur, sa société, son actualité, sa communication, ou l’équipe dirigeante. Aujourd’hui, une simple requête sur les moteurs de recherche permet d’obtenir un nombre considérable d’informations. Comme le dit l’économiste Alfred Sauvy : « L’information, c’est le pouvoir. C’est le pouvoir de dire, de décider, mais c’est aussi le pouvoir de taire, de dissimuler ». En ne vous renseignant pas, vous prenez le risque de passer à côté d’éléments capitaux pour ajuster votre position ou votre stratégie. De plus, c’est un gage de professionnalisme que de montrer à votre interlocuteur que vous avez préparé cette échéance. Cela évite d’avaler naïvement des allégations ou des mensonges.

Par exemple, dans une simple négociation de salaire entre un manager fraîchement nommé et un de ses collaborateurs, si ce dernier affirme que son prédécesseur s’était engagé à l’augmenter, le nouveau venu se sent obligé, en l’absence de plus amples informations, de suivre la ligne managériale antérieure. De même, ne pas savoir que votre interlocuteur direct est le neveu du grand patron peut fausser votre évaluation d’une situation. Ou encore, pour acheter tel ou tel objet chez un antiquaire, votre non-connaissance de la valeur réelle des biens sur le marché est un handicap dans la négociation. De plus, en l’absence d’informations tangibles, vous serez soumis à l’influence de vos heuristiques de jugement comme : « si c’est cher, c’est que cela a de la valeur. »

Comme nous venons de le voir, en situation de négociation, où l’information est souvent partielle, asymétrique ou incertaine, les heuristiques prennent le relais du raisonnement analytique. Ce fonctionnement rapide et intuitif peut s’avérer utile, mais aussi extrêmement biaisé. Il aboutit à des erreurs multiples :

  • des prises de décisions sur des intuitions erronées plutôt que sur des faits vérifiables ;
  • une négociation fondée sur des croyances, au lieu d’une stratégie appuyée sur la réalité du dossier ;
  • la surestimation ou sous-estimation des positions adverses ;
  • une rigidité dans l’argumentation liée à des impressions non remises en question.

 

Une bonne pratique pour éviter cet écueil est de se poser quelques questions préalables : que sais-je des autres, de leur psychologie, de leur situation personnelle, du contexte, de leur offre, des conditions de marché… ? Chaque trou dans la raquette informationnelle devra idéalement être comblé avant d’entrer dans la négociation, ou sinon pendant.

 

L’impréparation de l’équipe

Dans la veine du piège précédent, relatif à l’insuffisance de recherches de renseignements, l’impréparation de l’équipe provient aussi du manque de temps cruel qui pénalise souvent les négociations. Le leitmotiv le plus présent en entreprise est : « On passe d’un dossier à un autre, d’un rendez-vous à un autre, donc on verra bien. »

Lorsqu’une équipe est engagée dans la préparation d’un dossier, elle doit régulièrement pratiquer un diagnostic de type SWOT (Forces, Faiblesses, Opportunités, Menaces), qui lui permet d’obtenir un point de vue objectif sur la situation actuelle et d’anticiper les angles possibles de négociation. Mais ce travail, aussi indispensable qu’il soit, ne suffit pas à rendre efficace la négociation future. Une bonne équipe de négociation fonctionne avec le respect des points suivants :

  • Un partage initial très complet de l’ensemble des éléments du dossier. On appelle cette phase le « briefing », car il s’agit là d’informer, mais aussi de recueillir les remarques des participants, de façon non hiérarchique, avec le plus de fluidité et de liberté de parole possible. C’est l’occasion de bénéficier de l’intelligence collective du groupe. On réfléchit aux avantages et inconvénients de tel ou tel sujet, puis on tranche sur sa mise en œuvre, ou non.
  • La bonne identification des rôles et des postures durant ces futures négociations. Certains doivent peut-être n’intervenir que de façon chirurgicale sur un domaine. Les égos doivent rester en dehors de la salle de négociation afin de ne pas prêter le flanc à une action manipulatrice ou provocatrice des interlocuteurs.
  • Une bonne compréhension du comportement que chaque participant doit tenir strictement lors de la phase opérationnelle de la négociation : opposant ou facilitateur, technicien ou généraliste, « gentil ou méchant », comme dans les films policiers.
  • Une volonté d’apprentissage, après les échanges, afin de faire un « débriefing » des points clés qui serviront à préparer correctement le round suivant. Une équipe est considérée comme prête et mature lorsqu’elle sait tirer les enseignements utiles pour la suite.

 

Votre impréparation

Vous êtes un élément clé de la négociation ? Arriver fatigué à une négociation, c’est se tirer une balle dans le pied. Certains observateurs des accords de Maastricht ont émis l’hypothèse que les Allemands ont réussi à arracher des concessions aux Français du fait de la vulnérabilité du président Mitterrand. En effet, malgré sa maladie, Mitterrand a tenu à négocier lui-même (on retrouve l’erreur du chef qui veut négocier). Les Allemands, qui connaissaient son état de santé, ont fait durer les rounds de négociation jusque tard dans la nuit, profitant de la fatigue du Président français pour obtenir davantage de lui. Ainsi, il est dit que l’Allemagne a obtenu une BCE indépendante, une concession majeure de la part de la France qui souhaitait fermement une institution sous contrôle politique.

Il ne faut donc pas épuiser ses ressources en amont d’une négociation, ou négliger sa forme physique et mentale. Pour bien se préparer physiologiquement, il faut rationaliser ses apports énergétiques (pas de repas lourd, pas d’alcool, pas d’excitants artificiels), surveiller son hydratation en buvant de l’eau avant toute sensation de soif (et donc apporter sa propre bouteille en prévision), réguler au mieux son sommeil en évitant de veiller inutilement (il y a toujours des tentations qui captivent notre attention, mais il faut rester focalisé sur la lucidité acquise grâce au repos).

L’important est de rester indulgent avec soi-même. La réussite s’accompagne souvent d’un mélange de détermination et d’abnégation. Lorsque l’on travaille sur les « TOP », les techniques d’optimisation du potentiel, l’imagerie mentale et la relaxation sont travaillées spécifiquement pour induire des pensées positives.

Les TOP sont un ensemble de méthodes psychocorporelles issues de la préparation mentale, conçues initialement pour les forces armées et forces de l’ordre françaises (armée de terre, gendarmerie, police, légion étrangère) puis adaptées au sport de haut niveau, à la santé, à l’entreprise et à la gestion de crise.

Elles visent à développer les ressources mentales et physiques d’un individu, à travers l’entraînement à l’autorégulation, pour mieux faire face aux situations à forte charge émotionnelle, stressante ou exigeante.

Les TOP s’appuient notamment sur :

  • la respiration contrôlée (ex. : respiration cohérente, méthode 3-6-5, 3 fois par jour, 6 respirations de 5 secondes) ;
  • la relaxation dynamique (inspirée de la sophrologie pour suroxygéner les cellules) ;
  • la visualisation positive (préparation mentale, projection de succès) ;
  • l’autosuggestion (dialogue interne structuré avec des ancrages gestuels) ;
  • la planification mentale d’objectifs (fixation d’intentions opérationnelles, balisés dans le temps).

 

Enfin, en cas de fatigue vous serez plus sensible au stress et aux émotions fortes. Aussi, un élément déterminant est d’apprendre à bien respirer.

 

Le manque de stratégie

Certaines formules claironnées dans l’entreprise doivent vous alerter sur le risque d’impréparation : « On a toujours fait comme cela », « Tu verras bien comment cela se passera ! », « Tu connais ta fiche produit et ton catalogue, c’est bon ! », « De toute façon, le client n’a pas le choix… » Ces formules sont une alerte car elles sont le symptôme d’un manque évident de professionnalisme. Se contenter de fanfaronneries, de suffisance ou d’arrogance est le meilleur moyen d’échouer.

Il est fréquent que la préparation porte uniquement sur le contenu de la négociation (prix, produits, quantité, arguments), et rarement sur la stratégie d’influence, sur l’ordre des rounds, ou sur le training avec des jeux de rôles. Il n’est pas rare de voir des négociateurs arriver sans préparation stratégique à une négociation parce « qu’ils savent », qu’ils en ont fait des dizaines. Ils ont préparé le « quoi », mais ne l’ont pas challengé avec un SWOT, et n’ont rien fait sur le « comment ». Mais voilà, cette fois-là n’est pas comme les autres !

 

Le défaut de confiance

Toute mauvaise préparation fragilise notre capacité à affronter une négociation complexe. Cela crée un défaut de confiance à plusieurs niveaux, car on ajoute des handicaps à une situation souvent déjà difficile. Gardons en tête que pour optimiser la confiance, il faut s’assurer de cinq paramètres vitaux, que l’on peut regrouper sous l’acronyme OASIS :

  • Confiance en son organisation (O) : On ne compte plus les conflits au sein des entreprises entre les vendeurs qui cherchent à satisfaire coûte que coûte leurs clients et les services de production qui peinent à s’adapter à ces « commandes spéciales ».
  • Confiance en ses autorités (A) (managers, mandants, politiques…) : Si j’ai l’impression que les autorités ne prennent pas en compte ma vision du terrain et ont une approche « hors sol » sans que j’aie les moyens d’ajuster les choses avec elles, cela complexifie ma préparation et peut me fragiliser au moment de prendre position pendant la négociation (et après, si je ne suis pas suivi).
  • Confiance en soi (S) : Dès le stade de la préparation, avoir une vision pessimiste de mes chances de succès parce que je doute de moi, est la meilleure recette de l’échec. Je peux douter de moi pour plusieurs raisons : mes capacités, ou mon niveau d’information insuffisant, ou de préparation limitée, à cause du poids de cette négociation alors que j’ai connu deux échecs précédents…

 

Lorsque Christophe arrivait sur une situation de prise d’otage, les premières remarques étaient toujours catastrophiques : « L’individu menace de tuer ses enfants, il a tiré des coups de feu sur des voitures de police et le stress des policiers sur place est important, l’école limitrophe n’a pas pu être évacuée, et le maire nous demande d’agir prestement… » Le rôle de l’officier négociateur est de prendre le contre-pied de cette vision négative : pour l’instant personne n’a été blessé, les enfants sont sanctuarisés et sécurisés dans l’école limitrophe, le RAID est sur place afin de soulager les collègues primo-intervenants, des renseignements utiles ont été récupérés sur l’auteur des faits, qui vont permettre de débuter la phase de négociation immédiatement. C’est en cela qu’avoir une vision positive devient une recette du succès.

  • Confiance dans les informations (I), le renseignement : Dans chaque préparation de négociation, il faut s’assurer de la pertinence des informations recueillies car elles peuvent être erronées, caduques, interprétées, fantasmées ou volontairement falsifiées. Avoir un doute sur la pertinence des informations fragilise la construction de la stratégie de négociation. Le pire est de présenter une information que l’on sait potentiellement contestable, qui est aussitôt démentie par la partie adverse. Cela produit un effet dévastateur sur la confiance du négociateur.

 

Cet article est extrait du livre : Pièges de négo de Frédéric Bonneton et Christophe Caupenne paru chez Vuibert.

 

 

A propos de l’auteur

Frédéric Bonneton est consultant en stratégie commerciale auprès de nombreuses entreprises françaises et internationales, conférencier et auteur. CEO du groupe MCR et co-fondateur du Label d’excellence en Négociation FOR ONE, il intervient également comme chargé d’enseignement à HEC (Master Marketing), à la Sorbonne, et à l’ESCP (Executive Education – Direction Commerciale).

Membre du Think Tank « Entreprise et Progrès », expert auprès de l’Association des Directeurs Commerciaux de France, Frédéric partage depuis plus de 20 ans son expérience du terrain, de la formation et du conseil.

Il a également été, pendant huit ans, l’auteur de la rubrique « Le conseil du coach » dans le magazine Challenges. Il vient de publier son troisième ouvrage avec Christophe Caupenne aux éditions Vuibert, « Pièges de négo : comment les éviter et remporter toutes vos négociations ».

 

Policier pendant 29 ans, Christophe Caupenne fut Inspecteur en Police Judiciaire, en Groupe de Répression du Banditisme, puis en Groupe Criminel, avant de rejoindre le RAID, durant 12 ans, en qualité de Commandant, Chef du groupe Gestion de crise et Négociation. Il a réalisé plus de 350 opérations de forcenés, prises d’otages, mutineries, kidnappings à l’étranger. Il est aujourd’hui à la tête de plusieurs entreprises. C’est un spécialiste de « l’humain », du management, de la performance, de la négociation de situation à haut risque, un expert en communication et en résolution de conflits. Il enseigne dans de nombreuses structures, notamment expert APM.

 

 

Vuibert

Article publié en partenariat avec Vuibert.

 

Pour aller plus loin

Retrouvez Frédéric Bonneton en conférence « Préservez et développez vos marges : l’art de mieux négocier » au Salon SME, l’événement pour les indépendants, créateurs et dirigeants de TPE, lundi 13 octobre de 13h à 14h.

 

 

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