Un nouveau statut protecteur pour les entrepreneurs individuels (et pour les auto-entrepreneurs en particulier)
Ce nouveau statut, offrant distinction entre patrimoine personnel et professionnel, vous assure-t-il une protection absolue ?
La loi du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a créé un nouveau statut de l’entrepreneur individuel, dont l’élément essentiel réside dans l’instauration d’un patrimoine professionnel, distinct de son patrimoine personnel. Il s’agit là d’un statut à première vue idéal, singulièrement pour les auto-entrepreneurs, en ce qu’il leur offre une protection automatique du patrimoine personnel en cas de passif professionnel impayé, mais celle-ci est loin d’être absolue.
Pas de statut idéal pour créer son entreprise
Il n’existe pas de statut idéal pour créer son entreprise, chacun ayant ses avantages et ses inconvénients. Néanmoins, le statut qu’il convient de privilégier est certainement celui qui sait allier deux impératifs largement antinomiques, à savoir la simplicité – notamment dans l’accomplissement des démarches administratives liées à la création au fonctionnement de son entreprises (déclarations fiscales et sociales, en particulier) – et la sécurité. Si le régime de l’auto-entrepreneur est très performant au regard du premier, il n’est pas le mieux armé pour atteindre le second. En effet, l’auto-entrepreneur – ou micro-entrepreneur – est un entrepreneur individuel, qui, à ce titre, accomplit son activité à ses risques et périls. Il risque donc de perdre tous ses biens si les affaires tournent mal, à ceci près, que, depuis la loi Macron du 6 août 2015, s’il est propriétaire de sa résidence principale, cette dernière échappe aux poursuites de ses créanciers professionnels – au premier chef le banquier qui lui a prêté de l’argent dans le cadre de son activité. Encore faut-il qu’il soit propriétaire de son logement ! Malheureusement, peu nombreux sont les auto-entrepreneurs qui ont conscience de ce risque.
Le nouveau statut de l’entrepreneur individuel
Et si l’on avait finalement trouvé la solution miracle, apte à concilier simplicité et sécurité ? Ce n’est pas impossible, même si la prudence doit rester de mise. En effet, la loi du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante, entrée en vigueur le 15 mai 2022, a créé un nouveau statut de l’entrepreneur individuel, qui prévoit qu’un tel entrepreneur est titulaire de deux patrimoines, personnel et professionnel, parfaitement étanches l’un par rapport à l’autre. Et cela de manière automatique, c’est-à-dire sans démarche administrative préalable. L’auto-entrepreneur, comme tout entrepreneur individuel, est bien entendu éligible à ce nouveau statut.
Certes, il existe déjà, depuis 2010, un dispositif qui repose sur l’existence de deux patrimoines personnel et professionnel distinct ; il s’agit de l’EIRL (entrepreneur individuel à responsabilité limitée). Mais celui-ci a été un échec, à tel point que la loi du 14 février 2022, si elle n’est pas allée jusqu’à le supprimer, a organisé sa « mise en extinction ». Il s’agit peut-être bien là le prélude à une abrogation pure et simple d’ici quelques années.
La coexistence d’un patrimoine personnel…
Dans le cadre du nouveau statut, vont figurer dans le premier patrimoine, personnel, tous les biens personnels, dits encore domestiques, de l’entrepreneur individuel, c’est-à-dire ceux sans lien avec son activité, qu’ils soient mobiliers ou immobiliers (résidence secondaire, par exemple). L’avantage de ce statut réside dans le fait que ces biens échapperont en principe aux poursuites de ses créanciers professionnels en cas d’impayé. Ces derniers ne pourront appréhender que les biens faisant partie du second patrimoine, professionnel, de l’entrepreneur individuel.
… et d’un patrimoine professionnel
Quant au second patrimoine, professionnel, il prend naissance lorsque l’entrepreneur individuel débute son activité. Il est constitué des biens – mais aussi des dettes – qui sont « utiles » à son activité professionnelle. Que faut-il entendre par là ? Quel est le critère de l’utilité ? Il pourrait y avoir des contestations sur ce point, notamment en cas de poursuite de la part d’un créancier professionnel impayé sur un bien de l’entrepreneur individuel, par exemple son automobile. Ce créancier, qui entend la saisir, prétendra que c’est un bien professionnel, parce que l’entrepreneur individuel l’utilise pour effectuer ses livraisons, tandis que ce dernier avancera qu’il s’agit d’un bien personnel, parce qu’il utilise également ce véhicule dans un cadre familial, par exemple pour partir en vacances. Les contestations devraient cependant être limitées, car un décret d’application 28 avril 2022 a opportunément précisé les contours exacts de la notion de biens « utiles » à l’activité professionnelle : ce sont « ceux qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité, tels que […] le fonds de commerce […], les biens meubles comme la marchandise, le matériel et l’outillage, […], ainsi que les moyens de mobilité pour les activités itinérantes telles que la vente et les prestations à domicile, les activités de transport ou de livraison ». A l’égard des entrepreneurs individuels adeptes du télétravail, le même décret précise que « les biens immeubles servant à l’activité, y compris la partie de la résidence principale de l’entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel » font également partie du patrimoine professionnel ». Et au cas où les précisions données par le décret ne suffiraient pas, la loi du 14 février 2022 a posé une règle de preuve : en cas de contestation, la charge de la preuve selon laquelle tel ou tel bien fait partie du patrimoine personnel ou professionnel repose sur l’entrepreneur individuel. C’est dire que le doute profite au créancier professionnel.
Attention, l’étanchéité entre les patrimoines est parfois écartée
Dans l’hypothèse où le créancier professionnel ne peut être totalement payé grâce aux actifs professionnels de l’entrepreneur individuel, celui-ci ne peut en principe pas, on l’a dit, appréhender les biens personnels de son débiteur. En réalité, ce n’est pas toujours le cas. Il existe, en effet, certaines dérogations à ce principe de séparation des patrimoines professionnel et personnel, notamment en cas de « manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales […] ou d’inobservation grave et répétée dans le recouvrement des cotisations et contributions sociales » de la part de l’entrepreneur individuel au détriment de l’administration fiscale ou des organismes de sécurité sociale. Cela correspond par exemple à l’hypothèse de l’omission répétée de déposer ses déclarations fiscales et sociales, a fortiori de régler ses impôts et cotisations sociales. En pareil cas, en effet, les créanciers fiscaux et sociaux pourront se faire payer sur les biens personnels de l’entrepreneur individuel.
Et puis si l’entrepreneur individuel souhaite obtenir un crédit professionnel et que sa banque est réticente à le lui consentir, il aura toujours la faculté de renoncer au profit de celle-ci à la séparation des patrimoines professionnel et personnel. La loi le lui permet expressément. La protection du patrimoine professionnel est alors écartée. En cas d’impayé, la banque sera ainsi en droit de se faire désintéresser sur les biens personnels de l’entrepreneur individuel.
Ce nouveau statut est donc séduisant, en ce que la protection qu’il offre à l’entrepreneur individuel est automatique – aucune démarche particulière à accomplir pour s’en prévaloir ! –, mais celle-ci n’est pas absolue. La séparation des patrimoines professionnel et personnel est, en effet, parfois écartée, notamment en cas de manœuvres frauduleuses. Les créanciers professionnels impayés de l’entrepreneur individuel recouvrent alors la faculté d’appréhender les biens appartenant au patrimoine personnel de ce dernier. C’est dire que la vigilance est de mise.
A propos des auteurs
Xavier DELPECH est docteur en droit. Il est rédacteur en chef de la Revue trimestrielle de droit commercial, publiée par les éditions Dalloz. Il a écrit de très nombreux articles en droit de l’entreprise et sur les aspects juridiques des plateformes numériques. Il est notamment l’auteur de Auto-entrepreneur. Micro-entrepreneur dont la dernière édition est parue en 2020 aux éditions Delmas, ainsi que de deux autres ouvrages publiés chez le même éditeur : Fonds de commerce et Société à responsabilité limitée (SARL). Il est également professeur associé à l’Université Lyon 3 Jean Moulin et formateur.
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