[Bonnes feuilles] Qu’est-ce que la franchise ? Un mode d’organisation contractuelle de réseau, par Martin Le Péchon

© Stocklib / Rabia Elif Aksoy

Découvrez le premier article de la série « Qu’est-ce que la franchise ? », extrait du livre Guide pratique de la franchise et des réseaux commerciaux écrit par Martin Le Péchon et publié chez Dunod. Un article quelque peu théorique mais qui définit clairement ce que c’est et c’est bon à savoir !

 

La franchise est un mode d’organisation contractuelle. Elle se définit nécessairement sous un angle juridique.

La franchise ne fait l’objet, en France, d’aucune définition légale ou réglementaire. Au début des années 1970 cependant, le ministre de l’Économie et des Finances a tenté de cerner ce contrat qui prenait une place de plus en plus importante dans la vie française des affaires, définissant celui‑ci comme le « contrat par lequel une entreprise concède à des entreprises indépendantes, en contrepartie d’une redevance, le droit de se présenter sous sa raison sociale et sa marque pour vendre des produits ou services1 ».

Cette première tentative n’a pas marqué les esprits et analysée sous l’angle de la franchise telle qu’elle est perçue aujourd’hui, renvoie davantage à la définition de la licence de marque ou de la centrale d’achat avec enseigne. Aujourd’hui, à l’exception d’un arrêté2 sans réelle portée, aucun texte ne lui est consacré, le législateur n’ayant jamais cherché à placer la franchise dans un carcan juridique, ce qui en soi, est une excellente chose3.

Cette situation se comprend aisément : la franchise est un contrat sui generis (c’est‑à‑dire n’entrant pas dans une catégorie existante) créé par des praticiens pour répondre à l’évolution du commerce. Sa définition s’est forgée au travers de l’usage du modèle. La franchise correspond en réalité à un assemblage de plusieurs autres contrats. Cette situation fait régulièrement dire que la définition de la franchise « n’existe pas », certains auteurs estimant que ni la loi ni les tribunaux n’ont posé une définition de ce contrat4.

En réalité, c’est dans la jurisprudence (c’est‑à‑dire dans les décisions de justice rendues par les tribunaux) qu’il faut aller rechercher les éléments caractéristiques de la franchise. On attribue souvent à l’arrêt dit « Pronuptia5 », rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne le 28 janvier 1986, la paternité de la définition de la franchise. Cette décision est très symbolique car elle a scellé, d’une certaine manière, le sort de la franchise au sein de l’Union Européenne. Elle a identifié les grands mécanismes de l’opération de franchisage que sont la mise au point par le franchiseur d’« un ensemble de méthodes commerciales » et l’utilisation par le franchisé de ses méthodes commerciales et de l’enseigne du franchiseur, ensemble d’éléments qui ont fait son succès.

La Cour en arrive ensuite à une conclusion très éclairante sur le sens qu’elle donne à la franchise qui est, selon elle, plutôt qu’un mode de distribution, une manière d’exploiter financièrement, sans engager de capitaux propres, un ensemble de connaissances (sic). En devenant franchisés, les commerçants indépendants accèdent ainsi « à des méthodes qu’ils n’auraient pu acquérir qu’après de longs efforts de recherche et les font profiter de la réputation du signe ». Cette description a été très largement complétée par les juridictions françaises qui ont su donner au contrat de franchise une dimension toute particulière.

La France, pays à la fois avant‑gardiste et leader en matière de franchise en Europe, a en effet connu des affaires mettant en cause des franchiseurs face à des franchisés6, conduisant les juridictions saisies à construire un véritable droit jurisprudentiel de la franchise. De fait, contrairement à ce que l’on rencontre dans un nombre significatif d’autres États, le juge français a réussi à définir la franchise de manière autrement plus précise que l’ont fait beaucoup de ses semblables européens7.

Parmi les décisions rendues récemment, un arrêt de la Cour d’appel de Reims8 mérite une attention toute particulière puisqu’il pose une définition relativement limpide de la franchise. Selon cette Cour, le contrat de franchise est «une méthode de collaboration entre deux ou plusieurs entreprises commerciales, l’une franchisante, l’autre franchisée, par laquelle la première propriétaire d’un nom ou d’une raison sociale connue de signe, symbole, marque de fabrique, de commerce ou de service, ainsi que du savoir-faire particulier, met à la disposition de l’autre le droit d’utilisation moyennant une redevance ou un avantage acquis, la collection de produits ou de services originaux ou spécifiques pour exploiter, obligatoirement et totalement, selon les techniques commerciales expérimentées mises au point et périodiquement recyclées d’une manière exclusive afin de réaliser un meilleur impact sur le marché considéré et d’obtenir un développement accéléré de l’activité commerciale des entreprises concernées ».

S’il faut reconnaître que cette définition aurait probablement pu être énoncée de manière beaucoup plus simple, elle présente une certaine cohérence et s’inscrit dans la continuité des premiers arrêts définissant la franchise il y maintenant près de 40 ans9. Reste toutefois à traduire dans un langage plus accessible aux non‑juristes et plus opérationnels ce qu’est la franchise.

 

  1. Arrêté du ministre de l’Économie et des Finances du 29 novembre 1973 relatif à la terminologie économique et financière, JORF, 3 janvier 1974.
  2. Arrêté du 21 février 1991 relatif à l’information du consommateur dans le secteur de la franchise désormais codifié à l’article A 441‑1 du Code de commerce qui oblige le franchisé à faire connaître son statut à sa clientèle.
  3. Une autre exception aurait toutefois pu voir le jour par la tentative mortifère de création d’une « Instance de dialogue social » dans les réseaux de franchise par la loi dite El Khomri de 2016. L’article 29 bis de cette loi qui prévoyait cette Instance de dialogue social fut toutefois retiré du texte. Voir sur ce point : « La franchise condamnée à mort ?! », Le Club des Réseaux, n° 2, mai‑juin 2016.
  4. Barthélemy Mercadal, Memento droit commercial 2019, 27e édition, Éditions Francis Lefebvre, avril 2019.
  5. CJUE, n° 161/84, Pronuptia de Paris GMBH / Pronuptia de Paris IRMGARD SCHILLGALLIS, 28 janvier 1986.
  6. Par exemple : Cour de Cassation, chambre commerciale, n° 80‑10696, 27 mai 1981.
  7. « L’excellence de la France en matière de franchise et de commerce organisé ! », Le Club des Réseaux, n° 1, mars‑avril 2016.
  8. Cour d’appel de Reims, n° 17/01364, 4 septembre 2018.
  9. Cour d’appel de Paris, 28 avril

 

Bon à savoir

En analysant la jurisprudence, on se rend finalement compte que le contrat de franchise est lui‑même un assemblage de plusieurs sous‑contrats :

  • un contrat de licence de marque ;
  • un contrat de transmission de savoir‑faire ;
  • un contrat de prestation de services d’assistance.

Tout franchiseur et tout franchisé doivent être conscients de cet assemblage qui détermine les obligations de chacune des parties au contrat.

 

 

A propos des auteurs

 

Martin Le Péchon est avocat au barreau de Paris et fondateur du cabinet CLP Avocats. Spécialisé dans le conseil, l’accompagnement et la défense des franchiseurs et autres têtes de réseaux, il est reconnu comme l’un des plus fins stratèges en matière de droit de la franchise et de droit du commerce organisé. Membre du Collège des Experts de la Fédération Française de la Franchise, il est l’auteur de plus d’une soixantaine d’articles consacrés à la franchise et aux réseaux commerciaux.

Cet article est issu de son livre « Guide pratique de la franchise et des réseaux commerciaux » disponible en librairie et sur le site de Dunod :

https://www.dunod.com/entreprise-et-economie/guide-pratique-franchise-et-reseaux-commerciaux

 

 

 


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