[Bonnes feuilles] – Recruter des experts en IA, mission impossible ?
Tandis que les grandes entreprises du domaine de l’e-commerce n’hésitent plus à adopter l’IA, les PME/TPE du même secteur se questionnent sur leur capacité à recruter des experts en intelligence artificielle. Trouver des réponses dans cet article extrait du livre : Booster ses ventes en ligne avec l’intelligence artificielle
Implémenter des briques d’IA sur un e-commerce demande des compétences techniques spécifiques et à haute valeur ajoutée. Data scientist, data engineer, architecte cloud, data analyst,.. les nouveaux métiers liés au big data et à l’IA ont le vent en poupe, les offres d’emploi dépassent les demandes. Selon Thierry Bouron [6], l’émergence de l’IA a été plus rapide que prévu, ce qui nous place aujourd’hui en pénurie de compétences à disposition. En France, le rapport Villani [8] a donné le déclic pour ouvrir davantage de formations et de cursus sur l’innovation et l’IA, mais encore faut-il retenir les talents sur notre sol. Si la France est reconnue pour être un vivier de talents, malheureusement les entreprises de l’hexagone n’ont pas les capacités financières pour s’aligner sur les salaires proposés à l’étranger, principalement aux États-Unis. Selon l’étude réalisée par le cabinet de recrutement Michael Page, les investissements sur le marché de l’IA en 2019 représentaient 1,2 milliard de dollars en France, contre 16,5 milliards aux États-Unis[9]. Le gap est abyssal. Les profils spécialistes de l’IA qui décident de ne pas suivre les sirènes des Gafam outre-atlantique, sont happés par les laboratoires de recherche décentralisés sur le territoire français de ces mêmes mastodontes américains (Facebook, Google,..), dans la fonction publique (INRIA,..), par les start-up, ou encore par les grandes entreprises dans tous les domaines (banques, assurances, transports…). En parallèle, les e-commerçants pour continuer leur développement ont également un fort besoin de recrutement qui concerne tous les métiers du digital y compris l’IA. Cette complexification et cette diversification des compétences nécessaires à la vente en ligne est concrètement un frein à l’intégration de nouvelles technologies comme l’IA1. Si les grands noms du ecommerce peinent à recruter, il est évident que les e-commerces plus modestes vont également se heurter à ce plafond de verre.
Solution 1 : chercher le candidat au profil adapté à son projet
Néanmoins, ces profils liés à la data science peuvent aussi avoir envie de relever de beaux challenges techniques dans des entreprises à taille humaine ! Même si au niveau du salaire cela risque d’être compliqué de s’aligner sur la fourchette haute du marché, un e-commerçant peut attirer des talents par l’intérêt suscité pour son projet. D’où l’importance de bien penser en amont aux problématiques que l’IA doit résoudre et ainsi présenter un projet déjà mature dans sa réflexion à de futurs candidats. Dans le foisonnement des métiers autour de la data, il est par ailleurs important de bien cibler ses besoins pour recruter le profil adéquat. Pour un recrutement efficace et satisfaisant, il est fondamental de savoir quelles sont les spécificités de ces métiers aux intitulés proches mais aux compétences très différentes.
Par exemple un data analyst pourra interpréter des données déjà segmentées et en faire ressortir des indicateurs pour faciliter une décision, résoudre une problématique, etc. Un data scientist, lui, est un profil plus mathématique qui va maîtriser les statistiques, la programmation d’algorithme et les méthodes d’intelligence artificielle type machine learning ou deep learning. Attention donc à bien savoir ce que vous cherchez pour trouver la perle rare. Cela prouvera aussi à votre candidat que vous ne partez pas à l’aveugle, que vous êtes informés et qu’il sera bien cadré dans sa mission2.
Solution 2 : passer par la case prestataire externe
Pour les e-commerçants d’une taille équivalente à une PME, la solution la plus pertinente est alors de passer par des prestataires externes. C’est l’option choisie par les gérants de l’entreprise Classic Ride, Didier et Maxime Courty. Ce e-commerce pureplayer spécialiste de la vente d’accessoires de moto vintage possède moins de 10 salariés, ce qui ne l’empêche pas de miser sur l’IA pour continuer de tenir la dragée haute aux grandes enseignes du web. Pour aborder cette nouvelle technologie, ils ont donc décidé de se faire accompagner par l’entreprise de service numérique OpenStudio, qui développait déjà son site web : « Nous sommes entrés en relation avec les experts IA chez OpenStudio, car le plus important c’est vraiment de s’approprier l’intelligence artificielle, de voir ensemble quelles données il faut étudier et comment les étudier, afin de déterminer quels sont nos besoins. » Externaliser toute la partie intelligence artificielle peut aussi être une bonne idée pour solliciter des experts pointus dans des domaines variés. En effet, un e-commerce met en jeu toute une chaîne de valeur avec des métiers diversifiés qui demandent des expertises spécifiques. Par exemple, un e-commerçant peut faire appel à un prestataire spécialisé dans la réduction des tailles de colis grâce à l’IA, et à un autre qui propose plutôt des systèmes de recommandation très performants. Posséder un tel panel de compétences en interne pour une TPE/PME serait impossible et de toute façon très long à mettre en route, alors qu’en faisant appel à des solutions provenant d’entreprises extérieures, il sera possible de bénéficier de leur expérience et de leur expertise sur des problématiques métiers qui correspondent à vos besoins. Une relation de totale confiance entre e-commerçant et prestataire de services en IA est évidemment indispensable pour mener à bien cette transition, puisqu’elle implique notamment de partager l’accès à de nombreuses données de l’entreprise.
Les réponses de Didier Mamma – Vice-président of Data Value Creation et Head of the AI Factory chez Décathlon Technology
Pourquoi avoir lancé une AI Factory chez Décathlon ? Depuis combien de temps existe-t-elle ?
À la genèse du projet, il y a 4 ans environ, Décathlon avait lancé une initiative data science et IA en recrutant des data scientists. Ceux-ci travaillaient en mode exploratoire sur des problématiques retail afin de définir des modèles de prédiction ayant pour but de mieux comprendre le consommateur sportif et anticiper ses attentes. Malheureusement, l’approche exploratoire (POC) montre rapidement ses limites lorsqu’il s’agit de passer à l’échelle et de transformer des processus ou des compétences métiers. Aujourd’hui, on le sait, un data scientist seul, ne sert à rien. Il lui faut travailler aux côtés d’équipes pluridisciplinaires de data analysts, de data ingénieurs, de ML engineers, API, software, développeurs qui, en amont, collectent et préparent des jeux de données de qualité. Sans oublier un expert métier qui est clé dans le processus de construction des solutions « motorisées » par l’IA. Pour que ce dispositif fonctionne chez Décathlon, nous avons innové en constituant une équipe de data value engineers qui, en amont de chaque use case, collecte et identifie les problématiques business en collaboration avec le métier (data value lab) avant de les basculer côté modélisation et IA (AI lab puis AI fabric pour le passage à l’échelle). L’objectif des data value engineers est double. D’un côté, ils vérifient la caractérisation d’un problème et d’un autre, s’assurent de l’activation par le métier de la valeur créée par l’IA. C’est ici que réside le plus gros du travail. C’est donc dans cette structure amont organisée autour de trois blocs (le data value lab, l’aI lab et les AI fabrics), que travaillent en synergie tous ces coeurs de métier pour extraire la valeur des data, les transformer en assets business et les disséminer dans tous les compartiments de notre chaîne de valeur.
Vous avez donc recruté une vraie équipe de data scientists sans faire appel à des prestataires extérieurs ?
Il faut savoir qu’au sein de l’AI factory, 90 % des data scientists présents ont été recrutés en interne. Sur l’aspect data engineer, c’est différent. On a encore beaucoup de data engineers externes tout simplement parce que la pénurie sur le marché de l’emploi est encore plus grande que celle des data scientists. Et c’est normal. Un data engineer est chargé de toute la partie collecte, stockage, processing et préparation de la donnée, ce qui représente un travail considérable, complexe et extrêmement rigoureux. Sans un niveau élevé de fluidité et de qualité de la data, il est impossible d’avoir une stratégie AI centric à grande échelle. Former nos propres data engineers relève donc d’un véritable enjeu économique. C’est pour ça que nous envisageons la possibilité de créer notre propre école. En attendant, nous allons mettre en place un programme de formation d’un semestre à destination des 10-15 data engineers fraîchement embauchés.
1. LesJeudis.com, « E-commerce et le recrutement en E-commerce », ecommercemag.fr, 2018.
2. « Recruter un Data Scientist : les clés de réussite », valoway.com, 2020.
Cet article est extrait du livre : Booster ses ventes en ligne avec l’intelligence artificielle
A propos des auteurs
Cédric Sibaud est directeur associé et expert e-commerce chez OpenStudio.
Céline Patissier est journaliste de formation avec une spécialisation en radio et presse écrite. Elle a forgé sa plume au sein de nombreuses rédactions, avant de se consacrer à la communication des entreprises. Depuis avril 2020, Céline Patissier met son expérience journalistique au service de l’entreprise OpenStudio en vulgarisant les concepts autour de l’intelligence artificielle et des métiers du numérique.
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